Rouge est la mer 2006

Chapelle Henvi IV, Poitiers, France — Photomontages, impression au jet d’encre sur rhodoïde, montés sur les vitraux. — De  Ø 300 cm à H. 550 x 220 cm.

« Treize grandes impressions numériques sur Rhodoïd, réalisées à partir de photographies de mer épousent chacun des vitraux de la chapelle. Ces images à l'instar de fenêtres ont pour fonction de laisser passer. Ce n'est pas ce qu'elles représentent qui prime mais ce qu'elles laissent transparaître. Elles agissent en tant que lieux de passage. Éphémères ces œuvres numériques relancent le statut du vitrail, énoncent son côté poïétique en abandonnant la narration
En entrant dans la chapelle, les vitraux situés en haut de la façade nord présentent la surface réfléchissante de la mer, ceux plus bas évoquent l'aspect charnel de la mer rouge. La façade ouest, celle de la rosace affiche une mer calme presque huileuse. La façade sud montre l'impétuosité des vagues. Œuvres changeantes, variant au gré de la lumière et des émotions; les images dialoguent, s'interpellent, le soleil éclairant  l'une et atténuant  l'autre.
Michelle Héon n'est pas à sa première installation dans une église. Avec cette pièce, dit-elle " je cherche à transformer ce lieu tout en lui gardant son caractère sacré. L'église est un endroit où l'on peut s'arrêter, se poser, avoir un espace à soi. J'essaie de conserver cet aspect des choses et inviter les gens à approfondir ce comportement." L'église est baignée par la présence silencieuse de la lumière de l'eau rouge. L'espace de déambulation, la nef semblable à une coque de navire inversée, est retournée à l'intérieur des eaux matricielles, des eaux rouges primordiales.
L'installation n'est pas sans faire penser au passage de la mer rouge à la traversée des eaux, à la mer ouverte en deux par Moïse. Tout comme on a l'impression d'être dans le ventre de le baleine de Jonas. Le rouge de la mer peut être comparé au sang surtout sur les vitraux de la façade nord, ceux du bas, comparables aux entrailles de la baleine. Nous sommes à l'intérieur des eaux. Tout cela prend une dimension mythique comme si la grande déesse mère était derrière tout cela : le ventre, la mer, le sang, l'accouchement, la force féminine de la nature.
Michelle Héon n'œuvre pas avec la lumière, elle révèle l'opacité, les couches, les sous-couches de l'inconscient collectif, ses archétypes. Qui n'a pas rêvé d'eaux déferlantes emportant tout sur leur passage ? La mer est symbole de l'inconscient, de peurs immémoriales. La mer et l'inconscient sont des puissances, des forces remontant des profondeurs par surprise à la surface comme certains sentiments venant effacer les résolutions que l'on croyait immuables. Rien n'est immuable, tout est mouvance. Les couleurs transportent l'idée des courants chauds et froids. L'image photographique se confond avec la lumière. La profondeur se cache à la surface de l'eau. Tout devient reflets, strates d'eau, miroirs mordorés. L'artiste baigne l'église, baigne un espace comme quelqu'un qui ponctue un discours sous l'emprise de l'inconscient en articulant avec le rythme et la lenteur des blancs entre les mots.
Au plus l'œuvre est invisible, au plus elle se fait présente. Entre eau et feu, image et lumière, présence et absence, l'installation de Michelle Héon structure cette chapelle du XVII° siècle en un lieu de réflexion du regard. »

© Françoise Rod 2006, Cuges-les-Pins, France.