[…] « Michelle Héon, Isabelle Leduc, Gilles Morissette font naître un théâtre d’opération commun. Ils veulent ainsi partager d’une façon plus intime certains modes de faire et des thèmes proches, investir une même interface entre des mondes qui se juxtaposent et parfois se chevauchent. L'articulation des situations et des perceptions se déploie dans une pratique orchestrée de l’in situ. Elle engage parfois le corps du spectateur. On y ressent une prédilection pour la force d’évocation des matériaux, des réminiscences archéologiques ou architecturales et la déclinaison d’autant de figures de l’ailleurs. 

[…] l’envoûtant vaisseau fantôme de Michelle Héon donnent la direction. De pièce en pièce, des suggestions tantôt mystérieuses ailleurs réveillées d’indices  nous conduisent vers une évocation de la migration, de la transhumance.

Avec sa poupe et sa proue, un treillis métallique est assemblé de façon irrégulière pour  évoquer une embarcation fragile. Des centaines de filaments de tissus broyés et effilochés pendent à cette carcasse comme autant de lambeaux. La profusion de ces débordements a quelque chose de baroque. Si cette luxuriance réveille des sensations d’opulence, un doute nous saisit. Cet aspect somptueux s’allie à une certaine symbolique de la ruine. En des tons sombres parsemés d’éclats vifs, les couleurs s’incorporent à une étrange charpie dégoulinante. Une tension vive opère entre le flux de ces déversements et la fixité lancinante qui les saisit. L’invitation au voyage se double d’un embarquement piégé. Cette matière opulente nous conduit vers un émerveillement ou un réenchantement, mais ces suggestions semblent contredites tant ces masses de matières broyées, effilochées et décomposées s’associent également à une sorte de naufrage annoncé. On peut voir dans cette galère L’Embarquement pour Cythère cohabiter avec le Radeau de la Méduse, peut-être en version boat people! Chantant les promesses d’un nouveau monde, les sirènes annoncent en même temps les spectres de la déterritorialisation.

[…] un oculus laisse entrevoir la projection en boucle d’un vidéo de Michelle Héon intitulé Ouessant. Saisie comme à travers une lunette d’approche, l’embarcation aux allures de jouet flotte tant bien que mal parmi les vagues. La traversée s’établit en un équilibre précaire entre la survie et l’engloutissement en eaux troubles. » […]

© René Viau 2011, extrait du texte : Michelle Héon - Isabelle Leduc - Gilles Morissette - Géographie imaginaire, Montréal, Québec, Canada.